mercredi 5 décembre 2012

D' Artemisia au Caravage

Chapitre V et retour sur Artemisia. Fille du peintre Orazio Gentileschi, elle est violée à Rome par un élève de son père, Agostino Tassi. S'ensuit un procès très long qu'elle finit par gagner. Tassi est banni (curieusement, il a tout de même le droit de résider dans les propriétés de ses mécènes). Artemisia se marie et quitte Rome pour Florence, où elle expose ses grandes peintures de Judith et Holopherne.

Judith décapitant Holopherne, version de la Galerie des Offices, Florence, de 1620.
La toile sonne comme une vengeance, Artemisia s'attribuant les traits de Judith et donnant ceux de Tassi à Holopherne. On commence à voir là le rapport avec la tête tranchée de Marie de Montbazon.
P.L. Rossi rapporte avoir vu à Berlin deux autres tableaux d'Artemisia dont l'un représente le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin. Après avoir révélé la vérité à son père et à son mari, elle se poignarde. Cet épisode célèbre, qui aura pour effet collatéral le passage de la monarchie à la République, a eu la faveur de nombreux peintres, tel Titien.

Titien, le viol de Lucrèce – 1571
Artemisia peint Lucrèce seule dans deux tableaux, distants de vingt-deux ans :

Lucrèce - 1620

Lucrèce -1642

Notons que c'est encore sous ses traits, au moins dans le premier tableau, qu'elle peint l'infortunée Lucrèce. "Devant tant de violences, de meurtres, de viols et de suicides, on pourrait penser, écrit P.L. Rossi, que nous sommes devant la peinture d'une femme meurtrie. Il n'en est rien. Les peintres français, plus mesurés : Simon Vouet et Jérôme David, admirent l’œuvre d 'Artemisia, tout simplement, pour eux, dans les allégories qu'ils exécutent, son portrait personnifie la Peinture."

Je me suis amusé à rechercher ces représentations. Et voici ce que j'ai trouvé pour Simon Vouet, qu'elle a rencontré en 1622 :
Simon Vouet, Artemisia Gentileschi, 1626
Le Démon de l'Analogie est à l’œuvre : c'est avec une tête tranchée sur un plateau que le Français figure la jeune femme au regard déterminé ! Sans doute fait-elle écho à cet autre tableau représentant Judith et sa servante portant dans un panier la tête d'Holopherne.

Judith et sa servante, v. 1618-1619, Palais Pitti, Florence
Pas de tête tranchée, tout de même, pour Jérôme David qui grave son portrait en 1627, mais la même expression farouche, volontaire, bien éloigné du sourire jocondien :


Notre guide élargit ensuite son panorama et propose d'interroger plutôt le destin de la peinture. Au commencement de ce XVIIème siècle, c'est ce personnage nommé Rembrandt Harmenszoon Van Rijn qui "inaugure en Hollande cette technique du clair-obscur qui va conquérir l'art de la peinture, en Europe."

Rembrandt, Lucrèce (détail), 1666
Pour P.L. Rossi, "les scènes de meurtre, de boucheries, d'enlèvements, de tortures et décapitations ne sont pas le privilège d'Artemisia, mais bien plutôt le symptôme d'un vertige, d'un désordre dans les consciences, d'une angoisse qui touche la société à l'orée du nouveau siècle (...). Évidemment le maître, l'initiateur de cette révolution dans l'art, de cette violence obscure, et même de cette sauvagerie, nous l'avons déjà évoqué puisqu'il s'agit de Michelangelo Merisi : detto il Caravaggio. Le Caravage est ce personnage tourmenté qui commence sa carrière à Rome, vers 1590, par un scandale. En effet, il a peint avant Valentin de Boulogne et Artemisia une Judith debout, qui s'est emparée de l'épée du général Holopherne, et qui lui coupe la tête, comme avec une scie, lui tenant les cheveux tirés en arrière."

Judith décapitant Holopherne, Le Caravage, v. 1598,
A ce moment, l'auteur nous assure qu'il faut aller voir à Rome un autre tableau du Caravage, La Vocation de saint Matthieu. C'est l'occasion d'évoquer des passages de l'évangile du même Matthieu et de conclure le chapitre par un dernier tableau caravagesque, Le Martyre de Saint Matthieu.
Le Martyre de saint Matthieu, Le Caravage, 1599-1600.
Tout au fond, signale-t-il, on voit le visage d'un homme égaré, avec une barbe, considéré comme le portrait du Caravage lui-même. "Mais surtout, ajoute-t-il, vers la droite du tableau, on voit un enfant qui cherche à s'enfuir, les cheveux ras, la bouche ouverte, le poing serré, un bras levé et la paume de la main retournée vers le haut, contre le ciel, dans un geste de refus, de terreur et de répulsion."

Ainsi s'achève ce chapitre, comme le précédent, sur l'évocation d'un enfant en rébellion. Où est passé notre forçat ? Que l'on ne s'inquiète pas, sa survenue est proche.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire