On n'arrête pas Javert, alias Francis Dusserre. Dans sa quête parisienne, sur les traces du grand Victor, le fin limier nous invite une nouvelle fois à une belle balade historique et culturelle. Ici, il rebondit sur une question posée par notre autre enquêteur bernardologue, et nous emmène ensuite du côté du canal Saint-Martin et du quartier Saint-Paul, avant de conclure en beauté Place des Vosges.
Encore quelques pages comme ça, et on va pouvoir éditer le guide Javert de la capitale.
JC Moreau me pose une question : Le couvent des Clarisses de la rue Lourcine
aurait-il un rapport avec celui des Bernardines où Jean Valjean poursuivi par
Javert se cache ?
Et bien peut-être : Le finaud JCM dans sa traque sur
les pas de l’ours n’est pas tombé loin.
Cette rue Lourcine, aujourd’hui en partie rue Broca,
commence à quelques pas du parvis de l’église saint Médard d’où Javert se lance
à la poursuite de Jean Valjean, mais cette voie file vers le sud alors que le
héros hugolien se dirige par la rue Mouffetard vers le nord et, c’est
prémonitoire, vers le Panthéon. Sortant de saint Médard, Valjean tourne à droite ; il tournait à
gauche et il était dans la rue Lourcine avec au bout le couvent des sœurs Cordelières
dont l’ordre, connu aussi sous le nom d’ordre des Pauvres Dames, a été fondé
par sainte Claire d’Assise disciple de Francesco (en anglais : Francis) du
même lieu.
Ceci dit, le couvent de la rue Lhomond occupé lui par des sœurs Bénédictines du
saint Sacrement (et avant elles par celles de Sainte Aure) ne fut que le temps
d’une première rédaction de l’œuvre d’Hugo le refuge de ses héros car, nous
l’avons déjà dit, le bon Victor les envoie par la suite se cacher rue de
Picpus, à l’autre bout de Paris dans un couvent dont il invente le nom et la
règle, les vraies occupantes du couvent de Picpus étant des Chanoinesses de
saint Augustin dites aussi de Notre Dame de Lépante.
Encore une fois le seul couvent se rattachant au nom de
saint Bernard est celui des Bernardins (pas « dines ») situé sur le flanc
nord de la Montagne sainte Geneviève. Magnifique lieu que ce couvent et collège
qui figure parmi les derniers témoins monumentaux de l’Université de Paris au
Moyen Age.
Une parenthèse : le 12 septembre 2008, Benoît XVI
inaugura (presque) le collège enfin rénové après avoir été débarrassé de la
caserne de pompiers qui l’avait occupé de nombreuses années...
Petit détail mais bien dans l’actualité: Benoît XVI a
sur le blason qu’il a choisi à son avènement, l’Ours de saint Corbinien
évangélisateur de la Bavière. « L’ours n’est-il pas l’image de ce que
je dois être et de ce que je suis ? Je suis devenu ton mulet et c’est
ainsi que je suis tout près de toi pour toujours » (Cardinal
J.Ratzinger)
Décidément j’aime bien ce Benoît, et pas seulement parce
qu’il a béni à Rome mon 60ème anniversaire (sans qu’il le sache bien
sûr…)
Quelle leçon pour ceux qui s’accrochent à la dépouille de
leur charge, beaucoup d’humanité et d’humilité, contrairement à son médiatique
prédécesseur, chez ce grand intellectuel qui aime les chats et dont le
compagnon félin l’accompagnera certainement
dans sa retraite.
Le chat et l’ours : deux animaux qui auraient pu avoir
un destin commun si ce n’était leur taille.
Le chat n’a en fait jamais été réellement domestiqué, c’est
un animal familier et non domestiqué qui s’est rapproché de l’homme car il
savait qu’un jour celui-ci finirait bien
par inventer les radiateurs ( je ne sais plus à qui j’emprunte cette formule
mais je la trouve juste et belle donc je l’adopte). Je parle de l’homme des
villes qui a su s’en faire un allié dans sa guerre aux rats, pas de celui de la
campagne qui n’aime que son chien et qui n’a qu’une idée c’est de tuer son
concurrent à la chasse ou de piéger celui qui ose gratter la terre là où lui
plante ses ignobles poireaux.
Eh bien l’ours aurait pu avoir le même destin s’il avait été
un peu moins encombrant et si ses coups de pattes n’étaient pas si lourds. Lui
qui a partagé les cavernes des premiers hommes aurait pu continuer la
cohabitation avec les suivants. Il n’en fut rien, d’où le substitut de l’ours
en peluche chez les enfants et peut-être du chat chez l’adulte.
Après ce détour de l’ours au chat, cessons de dériver et
revenons à nos couvents pour constater qu’il n’y a point en fait de bernardines dans tout ça.
Il y a eu et il y a encore pourtant tant de congrégations à
Paris. Il y a même un secteur du VIème arrondissement que les vieux chauffeurs
de taxi appelaient « le Vatican », tant il y avait de
couvents et de maisons religieuses.
Victor Hugo habita un temps – celui de Cromwell et
d’Hernani - dans ce secteur, rue Notre
Dame des Champs et eut pour voisin au grand bonheur d’Adèle :
Sainte-Beuve.
La femme, le mari et l’amant une forme de théâtre qui
allait avoir de l’avenir, peut-être même plus que les grandes tragédies
hugoliennes.
Faisons maintenant un tour des rues de Paris : rue
des…Ursulines, Chanoinesses, Blancs-Manteaux, Carmes, Bernardins,
Grands-Augustins, Petits-Pères, Feuillantines (où habita Hugo enfant),
Capucines,, Minimes ou encore de Cîteaux … tout un parcours religieux pour
arriver au quai des Célestins et près de là à la caserne homonyme.
- « Il paraît qu’il y a plein de canons aux
Célestins » vociféraient les commères des Misérables 62 et c’était bien
normal car ces « Célestins » étaient et sont toujours dans le
quartier de l’Arsenal entre la Bastille et la Seine. Surtout c’est de cette caserne des Célestins que sortirent un
juin 1832 les dragons qui déclenchèrent ou sur qui se déclencha l’émeute des Misérables.
Aujourd’hui grâce à Hollywood, les Misérables s’affichent
devant la caserne occupée de nos jours par la Garde Républicaine.
Quartier de l’Arsenal ; on y voit peu de touristes, il
a pourtant son histoire, et quelques éléments témoins de celle-ci.
Quelques pierres de la Bastille amenées d’un bout à
l’autre du Boulevard Henri IV jusqu’au
square Henri Galli.
La bibliothèque de l’Arsenal dont le bibliothécaire fut un
temps Charles Nodier, administrateur totalement incompétent mais animateur de
salon littéraire hors pair.
C’est dans son appartement de fonction que Dumas, Lamartine,
Vigny, Gautier… et Hugo inventèrent le romantisme français.
L’Arsenal c’est aussi le canal jusqu’à la Bastoche.
Il était né près du canal
Par là…dans l’quartier d’l’Arsenal
Sa maman qu’avait pas d’mari
L’appelait son petit Henri
Mais on l’appelait la Filoche
A la Bastoche…
…
Et sur la bascule à Charlot,
Il a payé sans dire un mot
A la Roquette un beau matin
Il a fait voir à ceux d’Pantin
Comment savait mourir un broche*
De la Bastoche.
- Broche : brochet, barbeau, hareng, maquereau : Souteneur quoi !
La Chanson est bien sûr de Bruant et date de 1915 ( été
1915 ?).
Port de l'Arsenal sur le Canal Saint-Martin |
Canal Saint Martin sous la colonne de juillet. |
La bascule à Charlot, la Veuve, les bois de justice… c’est
justement à propos du sujet que Nodier et Hugo se brouillèrent à la suite d’un
article du premier contre le célébrissime texte du second, Le dernier
jour d’un condamné *. Nodier restait royaliste légitimiste quand Hugo
engageait sa marche vers la gloire républicaine et la Troisième République.
*Si vous passez par Paris en ce moment ( ou si le spectacle passe un jour vers vous) ne manquez pas – sur le même sujet – (au théâtre du Lucernaire pour Paris)
La ballade de la geôle de Reading, poème d’Oscar Wilde dit par Jean-Paul
Audrain accompagné par Monica Molinaro
au piano.
Puisque nous en sommes à deux pas, je vous propose un petit
tour, toujours hugolien dans le quartier saint Paul.
Ne nous attardons pas dans le
« Village saint Paul » tentative moins qu’à moitié réussie de faire
de ce qui était un îlot insalubre, refuge des clochards et de la vermine, un
« Village Suisse »* de la rive droite, prenons juste le temps de
penser que c’est quelque part par là que mourut Rabelais.
*Ensemble
de boutiques d’antiquaires ayant pris la place du Village suisse d’une
exposition universelle dont j’ai oublié la date mais qui s’est tenu au Champ
de Mars.
Rue des jardins saint Paul |
Passons rue des jardins saint
Paul.
Nous sommes hors la ville de
Philippe Auguste dont la muraille borde le terrain de sport du lycée
Charlemagne.
Au bout de ce terrain une
fontaine dont le chérubin fait étrangement penser à Victor Hugo avec ce front
immense si souvent représenté par les caricaturistes des années 1830-40.
Juste un peu en arrière de la
fontaine, l’église saint Paul-saint Louis veille sur le déjà cité lycée
Charlemagne, ex-maison professe des Jésuites qui n’ont, il faut le noter, pas
de rue à leur nom dans Paris. Aurait-elle été droite ou tortueuse cette
rue ?
Dans l’église, on trouve
toujours les deux bénitiers offerts par Hugo à la paroisse où se maria sa fille
bien aimée Léopoldine. Justement ces bénitiers - en fait les deux valves d’un bivalve des
caraïbes – ressemblent bougrement au coquillage que l’enfant au visage
d’Hugo porte au dessus de la tête comme
pour l’offrir : à qui ? Le mysticisme et le sentiment religieux chez
Victor Hugo est un sujet qui me dépasse, je me garderai bien d’essayer de
l’analyser, un peu d’ailleurs comme pour l’autre géant ayant fréquenté le
quartier : Rabelais. L’un et l’autre sont inclassables et Rabelais
peut-être encore plus qu’Hugo, ce qui permet à toutes sortes de gens, penseurs
en mal d’appui, de se les approprier. Je dérive, je dérive…
Fontaine rue Charlemagne. |
Bénitier offert par Hugo. |
Continuons la promenade. Tout le
quartier saint Paul est construit sur l’emplacement de l’Hôtel Saint-Pol. Cet
ensemble d’Hôtels et Palais n’ayant connu que des événements tragiques :
le Bal des ardents, la résidence de l’ignoble Isabeau de Bavière et
l’occupation anglaise, tous les souverains qui vinrent ensuite semblent avoir
voulu en effacer les traces.
Il n’en reste que le souvenir
dans le nom des rues : rue des jardins saint Paul, rue de la Cerisaie
–souvenir du verger royal aux 1000 cerisiers, rue Charles V, rue des Lions
- souvenir de la ménagerie royale où il
devait bien y avoir aussi des ours…
Le même sort s’acharna sur
l’Hôtel des Tournelles où eut lieu le tournoi où Henri II fut mortellement
blessé. Les Tournelles furent abandonnées, bientôt détruites et Henri IV fit
réaliser sur le terrain la Place Royale, aujourd’hui des Vosges.
Hôtel saint Pol et des Tournelles,
l’ensemble aurait pu faire pendant à l’est de Paris à ce que devint au fil du
temps le Louvre à l’ouest. Voilà peut-être pourquoi Paris se développa plus
majestueusement vers l’ouest laissant l’est aux faubourgs populaires ? Je
dérive, je dérive, je… Mais quand même le fait que le Paris populaire, hier
émeutier, aujourd’hui tout au plus manifestant, se trouve à l’est, est une
réalité que n’explique pas seulement le sens des vents dominants comme le
voudraient certains, et le vent de l’histoire …
Terminons quand même notre
promenade.
Place des Vosges ! Nous revoici avec Hugo dans sa maison au
numéro 6.
On m’a dit qu’Honoré me ressemblait un peu
En un mot que
j’avais la gueule balzacienne.
J’ai bien souvent rêvé que j’étais son neveu,
Et la chère Eugénie ma cousine germaine.
Ce que j’aurais aimé, c’est
aller chez Victor
Place des Vosges, au coin, je
connais bien l’adresse,
Lui
dire : « Il fait soleil, viens faire un tour dehors
Jean Valjean peut attendre,
après tout rien ne presse ! »
Nous aurions tous les deux
arpenté pas à pas
Le Boulevard Beaumarchais en
songeant qu’Alexandre
Préparait pour ce soir un
superbe repas
Et que ces choses-là sont
toujours bonnes à prendre.
…
Quand parmi les vivants je
n’aurai plus personne,
Il me reste Honoré, Alexandre
et Victor
Bernard Dimey, J’ai trois amis.
Voilà je pense avoir répondu à
la question de JC Moreau, pardon si j’ai souvent dérivé mais je pense être
remonté à la source, c’est-à-dire arrivé chez Hugo, et si j’ai été un peu long
et bavard, c’est dans ma nature.
Autoportrait de Javert chez Hugo. |
Vue de la place des Vosges de chez Hugo. |
Je viens juste de repenser que j’avais promis à Patrick quelque chose
sur les cloches de Notre Dame de Paris. Ce sera pour une autre fois, si le bon
maître le permet.
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