La bernardologie allait-elle s'éteindre avec les beaux jours ? Les études javertiennes et jeanvaljeanesques, après un début flamboyant, n'étaient-elles que feu de paille ? Il semblerait que non, au vu de ce commentaire de Jean-Claude Moreau reçu hier. Je le promeus ici à la dignité d'un article car il le vaut bien.
"Puisque je les avais mises hors de mon esprit les études bernardiennes
me semblaient, à ce jour d'octobre 2012, achevées, c'est-à-dire
suffisamment essoufflées pour qu'elles aient pu se satisfaire de
péripéties de temps et de lieux qui en dispersent progressivement
l'objet. Une lecture de "Dora Bruder", roman écrit par Patrick Modiano,
m'amène à reprendre un chemin mental inverse.
Dora Bruder est une
enfant-adolescente disparue de Paris pendant la guerre et dont Patrick
Modiano reconstitue en creux l'acharnement des temps humains à se saisir
d'elle, le bout du chemin étant Auschwitz. A un moment de ses
recherches, et à l'occasion d'une lecture des "Misérables", Patrick
Modiano réalise que le pensionnat d'où va disparaître la jeune Dora
Bruder correspond exactement à l'adresse dont Victor Hugo fera une étape
importante de son récit :"Et voici ce qui me trouble : au terme de leur
fuite, à travers ce quartier dont Hugo a inventé la topographie et les
noms de rues, Cosette et Jean Valjean échappent de justesse à une
patrouille de police en se laissant glisser derrière un mur. Ils se
retrouvent dans un "jardin fort vaste et d'un aspect singulier : un de
ces jardins tristes qui semblent faits pour être regardés l'hiver et la
nuit." C'est le jardin d'un couvent où ils se cacheront tous les deux et
que Victor Hugo situe exactement au 62 de la rue du Petit-Picpus,
la même adresse que le pensionnat du Saint-Coeur-de-Marie où était Dora
Bruder. "A l'époque où se passe cette histoire - écrit Victor Hugo - un
pensionnat était joint au couvent (...). Ces jeunes filles (...) étaient
vêtues de bleu avec un bonnet blanc (...) Il y avait dans cette enceinte
du Petit Picpus trois bâtiments parfaitement distincts, le grand
couvent qui, abritait les religieuses, le pensionnat où logeaient les
élèves, et enfin ce qu'on appelait "le petit couvent" Et après avoir
fait une description minutieuse des des lieux, il écrit encore :" Nous
n'avons pu passer devant cette maison extraordinaire, inconnue, obscure,
sans y entrer et sans y faire entrer les esprits qui nous accompagnent
et qui nous écoutent raconter, pour l'utilité de quelques-uns peut-être,
l'histoire mélancolique de Jean Valjean."(pages 52-53)
L'histoire
mélancolique de Jean Valjean se confond-elle à cet instant même de la
lecture à l'histoire mélancolique de l'humanité ? Je ne sais. Mais,
tout au moins, histoire mélancolique dont on a l'impression que la
cruauté dont elle n'émerge que difficilement, repose bien, elle, sur
le destin en creux de Dora Bruder."
On pourra lire (les courageux seulement) l'étude savante de Peter Fröhlicher, de l'université de Zurich, Du Bellay, Hugo, Modiano, trois figurations de la ville-palimpseste.
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