dimanche 11 novembre 2012

La recherche de la couleur

C'est le titre du roman de Jean-Marc Parisis que je viens de terminer ce matin. De cet écrivain, j'avais apprécié le livre précédent, Les Aimants. Alors quand j'ai vu celui-ci à la médiathèque, je l'ai aussitôt emprunté bien que je croule déjà sous une masse de volumes à lire ou en cours de lecture. Mais j'avais envie d'un roman, d'une fiction que je pourrais lire d'une traite, comme un copain qu'on croise au coin d'une rue et qui vous régale d'une anecdote qui vous fera sourire le reste de la journée. Bon, à la vérité j'ai eu moins de plaisir que l'autre fois, l'ouvrage étant pour une bonne part une sorte de règlement de compte où des personnages caricaturaux s'en prennent plein la gueule, et parfois même littéralement, comme lorsque l'une des têtes de turc de l'auteur, un animateur radio vulgaire et libidineux, se prend au cours d'une soirée en ville, une retentissante mandale et chute lourdement dans une baignoire. Le jeu de massacre n'est réjouissant que lorsqu'il donne dans la démesure et la drôlerie (et je n'ai pas de meilleur exemple en tête que les mésaventures de Bardamu sur le navire "Amiral-Bragueton", dans le Voyage au bout de la nuit), mais ici, c'est simplement sinistre.

Heureusement, le livre ne se résume pas à cela, et placé qu'il est sous le signe de Novalis (le narrateur - l'écrivain François Novel - est en cours d'écriture d'un essai sur les romantiques allemands), il offre un tout autre visage quand il oublie le petit milieu social mesquin qu'il fustige. On se promène dans la géographie parisienne avec un certain bonheur, et il y a un côté très modianesque dans les pérégrinations. D'ailleurs Modiano est cité, et sa méthode dite de l'annuaire utilisée pour retrouver une ancienne relation, Régine, sosie de Jeanne Moreau. Nouvel épisode un peu cruel (méfiez-vous des écrivains qui veulent revoir des amies d'enfance, cela me rappelle un autre roman récemment lu, Les lisières d'Olivier Adam, où le narrateur, Paul Schneider (encore un écrivain), revenant dans la ville de banlieue de ses jeunes années (au moins s'évade-t-on ici de l'étouffant milieu parisien friqué et branché), retrouve une amour de jeunesse : après un retour de flamme romanesque, ça se termine très mal, dans l'hystérie et la souffrance). Chez Parisis, c'est plus expéditif, une seule rencontre suffit à tout désenchanter : "On avait toujours de bonnes raisons de ne pas revoir les gens. Il suffisait de les revoir pour comprendre pourquoi on ne les voyait plus." Sympa.

Bref, je disais qu'il y avait du bon dans l'affaire et me voilà à en ramener sur le négatif. Allons au fait, ce qui me conduit à chroniquer pour les Misérables 62, car enfin, on peut se demander quel bougre de rapport on peut trouver avec la pièce.
Je file donc sans escale jusqu'à la page 161, dans la dernière partie du livre, qui le sauve justement de l'aigreur, où François Novel vient de rencontrer une jeune fille, en échappant tous les deux à un taxi chauffard, à l'angle des rues de Rome et de Madrid :

"J'avais arrêté l'image.
- Regarde... Là. La boulangerie, à l'angle de la rue de Saussure et de la rue Lebouteux.
- Hé ! C'est tout près de chez moi. Je passe souvent devant. La boutique a disparu, la devanture a été repeinte en rouge, mais les éléments de façade sont intacts. Quand le film a-t-il été tourné ?
- L'été 1962.
- Ça ne te rajeunit pas.
- Attends le fin.
Après le visionnage de La Boulangère de Monceau, Sophie avait gardé le silence, pelotonnée sur le canapé. Je connaissais cette hypnose. Je l'avais laissée seule avec des cigarettes et j'étais allé ranger la cuisine. En remontant du local aux poubelles, je l'avais trouvé dans mon bureau, furetant sur la Toile, s'informant sur le film.
- Tu savais que Michèle Girardon s'était suicidé aux médicaments en 1975 à Lyon ?
- Oui.
- Après de mauvais films. Oubliée de tous.
- Pas de tous. "
Oui, c'est bien l'été 62 qu'Eric Rohmer a tourné ce premier court métrage qui prit place dans la série des Contes moraux. Voici la première partie du film (on trouvera facilement la seconde) :



Et voici le résumé qu'en donne le site Cinéma français :

Nous sommes en juin, dans le quartier de Villiers. Le narrateur, étudiant en droit, prépare ses examens. En allant dîner, il croise souvent Sylvie, une jeune fille blonde et élégante, employée dans une galerie de peinture. Malgré les encouragements de son camarade Schmidt il n'ose l'aborder.

Un jour cependant, s'étant heurtés par mégarde, ils engagent la conversation et promettent de se revoir. Mais, dès lors, Sylvie demeure invisible. Pour la retrouver, le narrateur sillonne le quartier, en particulier le marché de la rue de Lévis. Il prend l'habitude de se fournir en sablés dans une boulangerie de la rue Lebouteux dont la vendeuse lui témoigne un vif intérêt Jour après jour, des relations de complicité s'établissent entre eux.

Le narrateur finit par lui demander de sortir avec lui. La boulangère accepte. Mais en se rendant au rendez-vous, le narrateur rencontre Sylvie, la cheville bandée, appuyée sur une canne. Le lendemain de leur conversation, elle s'est fait une entorse et a passé trois semaines dans son appartement situé en face de la boulangerie. De sa fenêtre, elle a assisté aux allées et venues du narrateur et croit en être la cause. Le jeune homme se garde bien de la détromper. Renonçant au rendez-vous avec la boulangère, il emmène Sylvie au restaurant et l'épouse quelques mois plus tard.
Michèle Girardon est l'actrice qui incarne Sylvie. Ici, on la voit dans un autre film, avec Jeanne Moreau.


Jean-Marc Parisis, lui aussi né, tiens donc, en 1962, évoque aussi une autre figure tragique, dont j'ai déjà parlé ici, à savoir Natalie Wood, et c'est l'occasion d'une belle méditation sur le cinéma :

"Tout flottait, tout s'étoilait, tout se noyait dans le sens. Mais lequel ? Plus je regardais Natalie, plus elle me parlait, et plus elle me parlait, plus elle me manquait, comme si je l'avais connue, comme si ses films rallumaient des souvenirs d'une autre vie où j'aurais été son ami. L'alcool me laissait froid, n'affectait pas mes centres nerveux, mais les images de cinéma me passaient dans le sang, m'envoyaient sur des chemins qui ne menaient nulle part. Si le cinéma était un rêve dans le rêve de la vie, il en disait peut-être la vérité. Natalie n'était pas vraiment morte. Ce soir-là, je l'avais vue repartir en chapeau blanc et collier de perles à la fin de La fièvre dans le sang. En changeant de DVD, je l'avais recroisée, toujours en collier de perles, mais cheveux nus, et vêtue d'un simple pull à manches courtes, courant sous la pluie, dans une rue de La Nouvelle-Orléans, à la fin de Propriété interdite de Sydney Pollack. Le cinéma faisait bouger les morts, leur donnait encore envie de de s'en aller. En violentant le temps et l'espace, il avait inventé l'éternité.(...)" (p. 62-63)

SPLENDOR IN THE GRASS(la fièvre dans le sang) par rakosky

Allez, je m'arrête là pour aujourd'hui. Sur une dernière information qui n'a rien à voir : le blog a dépassé ces jours-ci les 10 000 pages vues, vous êtes encore en moyenne une vingtaine par jour à croiser par ici, à y perdre quelques secondes, quelques minutes ou plus, je ne suis pas dans une recherche forcenée d'audience (si c'était cela j'éviterais certains sujets), mais entre être lu et n'être pas lu, devinez où va ma préférence ? Merci à vous.

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