jeudi 16 août 2012

Chanter avec Gavroche

"On commence par chanter
Et l'on chante pour finir."

Giuseppe Ungaretti

Ces deux vers du poète italien sont citées dans un très réjouissant essai du philosophe Vincent Delecroix, Chanter, reprendre la parole. Un des livres que je découvre dans ce temps de l'après - car le temps du théâtre est toujours en ce qui me concerne un temps de diète de lecture, non pas tant parce que je n'ai plus un seul instant pour cela que parce que je suis tendu de façon radicale vers la représentation et qu'il me semble que rien ne doive me détourner de ce but. Mais maintenant le but est atteint, il est dépassé, je retourne à la littérature, sans visée particulière.

Et pourtant, même dépourvu de raisons, nos choix ne sont pas livrés au seul hasard. Qu'est-ce qui nous amène à choisir un livre dans l'immensité de l'offre actuelle ? Je me pose souvent cette question. Et pourquoi, plutôt que me divertir dans un polar (il en est d'excellents), me suis-je plongé dans cette réflexion sur l'acte de chanter, alors même que je ne suis guère chanteur ? Car c'est vrai, je chante peu, chantant faux (on me l'a dit), ayant peu de mémoire des paroles de chanson (sans doute pas un hasard non plus). Néanmoins, le chant m'intéresse, le chant me touche, et la preuve en est que le spectacle des Misérables 62 s'ouvrait et se fermait sur un chant, donnant ainsi raison à Ungaretti.

De Belles, belles, belles, au chant des bagnards composé par Didou Renaud (qui ouvrait Vidocq en 2000), se dessine déjà tout un spectre d'émotions, allant de la mélodie primesautière à la complainte puissante et mélancolique, vous volant un sourire ou vous collant un frisson.

Mais il est un personnage dans Les Misérables, qui est proprement un être chanteur, qui chante comme l'oiseau sur sa branche, « Paris a un enfant et la forêt a un oiseau ; l'oiseau s'appelle le moineau ; l'enfant s'appelle le gamin. » Et qui finit lui-même sa brève existence en chantant, Gavroche bien sûr.



A la fin de cette scène 33 (ici filmée en répétition avec Josiane et Gaël), Gavroche entonne, sitôt après avoir appris que toute sa famille est emprisonnée, une chanson traditionnelle :

Le roi Coupdesabot
S'en allait à la chasse,
À la chasse aux corbeaux,
Monté sur des échasses.
Quand on passait dessous
On lui payait deux sous. 

Ce n'est pas la seule chanson de Gavroche dans le roman : bien sûr il y a aussi le célèbre  "On est laid à Nanterre, C'est la faute à Voltaire, Et bête à Palaiseau,
C'est la faute à Rousseau." Mais il en est d'autres. Gavroche chante parce qu'il est naturellement gai, merveilleusement vivant, malgré l'abandon de ses parents (les Thénardier qui, eux, ne chantent pas), malgré le manque de pain, de feu, d'amour. Il exprime au mieux ce que Vincent Delecroix décrit , page 29 :

"Tu es à l'instant miraculeux, quasi abstrait, d'une vie sans qualité et sans qualification. Tu jouis d'être, de ta pure présence, ici, là, au monde : le chant est ta pure présence au monde, il est la tonalité, le son qu'elle rend. Curieux, minuscule cartésianisme : je suis, je chante."
Gavroche
Illustration d'Émile Bayard


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