mercredi 28 décembre 2011

Jean Gabin et Natalie Wood

Depuis la mort de Dubillard, j'ai ouvert un compte sur le site de l'INA (ce qui permet d'intégrer les vidéos sur le blog), et je me suis subséquemment abonné à leur page Facebook. Chaque jour, une photo ou une vidéo sont postées. Hier, je découvre donc ceci :

Pour voir en grand cette photo fumante, c'est ici.
Voilà donc les deux fils de ce blog - Hugo/Les Misérables et 1962 - une nouvelle fois entrelacés (Gabin étant bien sûr un des Jean Valjean marquants de l'histoire du cinéma).

L'INA a persévéré aujourd'hui avec 62, avec une photo de Natalie Wood, célèbre star holywoodienne, mais celle-ci n'a pas joué dans Les Misérables.
Quoique... A peine ai-je écrit la phrase qui précède qu'un doute m'assaillit. Natalie Wood n'aurait-elle vraiment aucun rapport avec l’œuvre hugolienne ? Googlons donc pour voir.

Sur cette photo trouvée sur le site du Colombus Dispatch, on voit la toute jeune Natalie, âgé alors seulement de 8 ans, avec l'acteur Edmund Gwenn, ici en Santa Claus/Père Noël, dans le film Miracle on 34th street. Film qui restera le plus notable de la longue carrière de Gwenn, qui reçut pour son interprétation l'Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, en 1947.

  
Or, il interprétera en 1952 l'évêque Courbet dans l'adaptation des Misérables de Lewis Milestone, dont on peut voir la bande-annonce sur le site de l'IMDb, et un extrait sur Turner Classic Movies (TCM).



Dans Miracle on 34th street, la mère de Natalie Wood est Maureen O'Hara (Doris Walker dans le film), autre immense star hollywoodienne qui connut un de ses premiers grands succès avec le rôle d'Esméralda dans Quasimodo, en 1939, film de William Dieterle où Charles Laughton interprétait le bossu de Notre-Dame.

 

Un extrait où Quasimodo sauve Esméralda livrée au bûcher :



Revenons à Natalie Wood. Son second rôle important au cinéma est celui de Judy dans le film-culte de Nicholas Ray, La Fureur de vivre (Rebel without a cause), en 1955, où elle joue au côté de James Dean (qui mourra dans un accident de voiture avant même la sortie du film). Sa mère était interprétée par Rochelle Hudson.



Or, cette actrice américaine, née en 1916, était la Cosette d'une autre adaptation américaine des Misérables, celle de Richard Boleslawski, en 1935. Film où Charles Laughton, incidemment, jouait le personnage de Javert, et Cédric Hardwicke (Frollo dans Quasimodo), Monseigneur Myriel (amusant de voir que d'un film à l'autre ils avaient interverti les rôles de méchant et de gentil).

Extrait sur TCM.

Et c'est encore une relation mère-fille qui est à l’œuvre dans le film que Natalie Wood tourne précisément en 1962, Gypsy, Reine de Broadway (notons qu'Esmeralda est une gypsy girl dans le roman de Hugo, autrement dit une gitane).




Cette histoire de mère abusive, ambitieuse, qui pousse ses deux filles vers une carrière au music-hall, n'est pas sans échos avec la propre biographie de Natalie Wood, si l'on en croit la notice de Wikipédia :
"Fille d'une danseuse et d'un directeur de cinéma, tous deux émigrants russes, Natalie Wood commence précocement une intense carrière d'actrice, poussée dans cette voie par une mère très autoritaire voire cruelle. Pour les scènes de larmes, la mère de Natalie allait jusqu'à arracher les ailes d'un papillon pour faire pleurer sa fille et satisfaire les réalisateurs. Un jour, sur un plateau de tournage où Natalie - encore enfant - devait traverser un pont sous une pluie diluvienne, la petite fait une chute et se casse le poignet. Sa mère, effrayée à l'idée que le réalisateur ne renvoie Nathalie à cause de cette blessure, n'en informe personne et oblige Natalie à se taire et à continuer le tournage sans la faire soigner. En résultera une malformation osseuse très visible, que Natalie Wood dissimulera toute sa vie sous d'énormes bracelets ou des vêtements. Natalie Wood jouera de nombreux rôles de petites filles, puis d'adolescentes, vivant et grandissant en permanence sous l’œil des caméras, et de sa mère présente sur tous les tournages."
Natalie Wood, une sorte de Cosette...


La pauvre meurt noyée en novembre 1981, dans la baie de Los Angeles, alors qu'elle était sur le yacht de son mari Robert Wagner. Une mort mystérieuse, qui rebondit justement ces jours-ci, car la police américaine, trente ans après, a décidé de rouvrir l'enquête.

Voilà où peut nous entraîner une simple photo sur FB...

samedi 24 décembre 2011

Dubillard encore

Dubillard encore. Je tire un fil dont je ne vois pas le bout. Avant-hier, comme j'étais à Auchan pour des courses de Noël (important Auchan, c'est comme le repassage, c'est dans le trivial du quotidien que nous faisons les plus belles rencontres), je retrouve l'ami comédien dont j'espère bien qu'il jouera Jean Valjean cet été.Il me confie son projet de monter, avec son vieux complice de toujours, Les Diablogues. Je l'informe de la diffusion le soir-même sur France 2 de la représentation des Diablogues, par Morel et Gamblin.

Emission que je regarde donc à 23 heures, et c'est un vrai bonheur. La mise en scène inventive, le jeu très corporel des deux acteurs permet de soutenir tout du long son attention, ce qui n'est pas si évident parce que la langue de Dubillard, avec sa logique extrémiste, exige en réalité beaucoup du spectateur.

Le lendemain, je tombe sur un article d'hommage dans le Monde, où la photo en exergue, l'unique photo, montre Dubillard le 9 janvier 1962, alors qu'il recevait le prix des "U" pour sa pièce "Naïves hirondelles".


Si je continue de suivre le fil 1962, j'ajoute que cette année-là, au théâtre de Lutèce était créée La maison d'os, pièce où quarante domestiques assistent, indifférents, à l'agonie du Maître, riche et tyrannique vieillard sans famille. Marie Leroy en parle excellement dans cet article. Cette pièce peu jouée, car difficile à monter (Dubillard joua lui-même le Maître dans les deux premières versions), sert de métaphore à plusieurs journalistes, comme dans le journal suisse Le Temps ( titre : Roland Dubillard déserte sa «maison d’os», et la même photo d'archives de 1962 est reprise), ainsi qu'à la fin de l'article du Monde :
"La maison Dubillard, avec son labyrinthe de pièces qui fuient, pètent, se fissurent, tombent en morceaux, n'a pas fini d'être revisitée. En attendant, ne pas rater Les Diablogues, diffusés sur France 2 ce 22 décembre, et joués par Jacques Gamblin et François Morel, champions de ping-pong métaphysique version Dubillard. "Je sais que la mort me rappellera quelque chose", avait écrit cet éberlué définitif, longtemps avant que, corps et âme, sa "maison d'os" ne craque définitivement.".

jeudi 22 décembre 2011

De Dubillard à Guernesey

Hommage à Dubillard. France 2 diffuse ce soir, jeudi 22 décembre, Les diablogues, avec François Morel et Jacques Gamblin, dont j'avais posté un extrait ici.
A la radio, sur France Culture, cette semaine, on peut suivre Victor Hugo, le génie de l'exil, émission en quatre épisodes sur ses séjours à Guernesey. On peut réécouter sur le site.
En cherchant sur le net une image de Hauteville House, la maison de Hugo à Guernesey, j'apprends que c'est aussi le titre d'une BD de Fred Duval et Thierry Gioux.

Bande-annonce du tome IV :

Hauteville House 4. Atlanta (Bande annonce) par editionsdelcourt

Voici ce qu'en dit l'auteur du blog Biblio-drizzt :

"L'intrigue se passe en 1864 sous le règne de Napoléon III. Hauteville House est la maison d'un Victor Hugo en exil sur l'île de Guernesey (c'est là un fait historique). Cette maison est aussi, dans ce monde imaginaire, le quartier général des Républicains qui s'opposent à l'Empereur.
 
Le héros principal de cette série est l'espion républicain Gavroche. Il est appuyé par Zelda, belle espionne américaine et par Eglantine, jeune veuve de la Guerre de Sécession" 

Bon, on est un peu loin des Misérables, mais j'en profite pour souhaiter un très joyeux Noël à notre Eglantine cluisienne, jeune gardienne des platines de Dracula.



mardi 20 décembre 2011

50, nombre magique ?

1962-2012. Cinquante ans sépareront les deux spectacles cluisiens portant sur Les Misérables. Il se trouve aussi que, sans l'avoir prémédité, la pièce comporte cinquante scènes (mais peut-être que l'inconscient ici a fait son œuvre), et, pour l'instant elle est basée sur la présence de cinquante acteurs (ceci, en revanche, est pratiquement volontaire : le nombre de comédiens tournant toujours plus ou moins autour de ce nombre, j'ai choisi de me donner cette contrainte - que je n'entends pas forcément respecter).
La semaine dernière, travaillant avec des collègues sur la notion de lecture à voix haute, nous avons découvert qu'une circulaire du 3 mai 1935 stipulait :  "la lecture à haute voix que les instituteurs et institutrices font souvent le samedi après-midi pour récompenser les élèves du bon travail de la semaine, devront être de préférence empruntées à Victor Hugo".
Il faut savoir qu'en 1935, on commémorait le cinquantième anniversaire de la mort de Victor Hugo.
Cette année, c'est le cinquantième anniversaire de la mort du psychanalyste Carl G. Jung que l'on célèbre ici et là. Jung est l'inventeur du concept controversé d'inconscient collectif. Disciple, puis rival de Freud, une partie de son histoire est relatée dans le dernier  film de David Cronenberg, A dangerous method.



On réédite aussi le Livre Rouge, ou Liber Novus, livre tenu au secret dans le tiroir d'une banque depuis la mort de Jung en 1961. Il y consigna entre 1914 et 1930 ses rêves et visions. L'exemplaire original, qui ne pèse pas moins de sept kilos, est présenté au Musée Guimet.

Jung est aussi le promoteur de la notion de synchronicité, qu'il définit comme « coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal entre eux et possédant un sens identique ou analogue». Les coïncidences, de ce point de vue, ne sont pas purement fortuites, elles revêtent un sens, qui n'est pas toujours facile à établir, qui souvent même se dérobe, mais l'empreinte de ces carambolages du hasard, ainsi que les appelait Marguerite Yourcenar, est souvent profonde et durable. Le monde soudain semble faire signe, faire écho à votre parcours. Petit caillou blanc sur la route des petits Poucet que nous sommes tous peu ou prou.

samedi 17 décembre 2011

1962 : Proust à la télé

Je continue de suivre - la litanie des repassages étant hélas sans fin - le cours d'Antoine Compagnon au Collège de France sur l'annus mirabilis 1966. Ce matin, j'ai donc écouté le cours du 1er février 2011, consacré à Marcel Proust. On se souvient peut-être que dans le premier cours Victor Hugo avait été cité comme exemple par son intérêt porté à une année précise, en l'occurrence 1815, dans Les Misérables. Ce pourquoi j'en avais fait mention dans le premier article de ce blog. Or, dans ce quatrième cours, Compagnon, qui considère l'année 1966 comme une année éminemment proustienne de par la parution de la grande biographie de Proust écrite par l'anglais Georges Painter, fait référence à une émission antérieure qui lui apparaît également comme un tournant de la réception de Proust en France. Emission de la télévision française, alors en noir et blanc et réduite à une seule chaîne, en date du 11 janvier 1962, réalisée par Gérard Herzog, produite par Roger Stéphane et commentée par Albert Olivier, trois anciens résistants, note-t-il en passant, et ceci n'est pas un hasard. La voici donc , telle qu'on peut la trouver sur le site de l'INA* :



C'est à une vraie méditation sur la fonction et l'histoire de la télévision que nous invite une telle émission. Compagnon déclare lui-même que la télévision des années 60 est une télévision de haute culture, où les dramatiques étaient le genre-roi, au service des classiques, mais il ajoute que l'année 65-66 marque aussi un peu la fin de l'aventure culturelle de cette télévision de culture supérieure, dirigée par des hommes venus donc de la Résistance et appartenant à l'aile culturelle du gaullisme revenu au pouvoir en 1958.

Cette volonté éducative, cette volonté d'amener la culture vers le peuple, est perceptible à la même époque  dans l' initiative de Michel Philippe, alors animateur de l'association "Fêtes et jeux en Berry" dont le but, je cite un article de journal de l'époque, est de créer 'un mouvement qui s'appuie sur tout le monde, sans distinction de classes sociales, d'opinions politiques ou religieuses, pour redonner le goût du vrai théâtre en redonnant à tous le sens collectif de la vie, " en s'appuyant "sur les œuvres populaires et célèbres de nos grands romanciers." Cette même année 1962, ce n'est pas seulement à Cluis qu'il monte Les Misérables, mais aussi au Blanc, en Ville Haute (mais au vu des articles que j'ai pu rassembler, il semble que la représentation blançoise ait été d'une moindre ampleur).


Petit bonus : en recherchant l'émission mentionnée par Compagnon, mais qui n'était pas visible sur la vidéo du Collège de France, j'ai trouvé une autre vidéo de l'INA, concernant les Actualités françaises au 8 août 1962, au plein cœur donc de la période théâtrale, à trois jours de la grande première :


______________
* Le même site où l'on pouvait retrouver l'émission Lectures pour tous, où intervenait Roland Dubillard, cette même année 1962.

jeudi 15 décembre 2011

« C’est inutile, mais ça vaut la peine »

Roland Dubillard est mort hier. L'occasion ne s'est jamais présentée pour moi de jouer les textes de cet auteur également acteur (il a joué pour Mocky, entre autres). Mais il n'est pas dit qu'un jour on ne prenne pas envie d'interpréter une de ses pièces avec ses dialogues marqués, lit-on souvent, par l'absurde. Je me demande maintenant si ce mot d'absurde n'est pas une facilité, parce que si l'on veut dire par là que ce qui se dit est dépourvu de sens, on est, me semble-t-il, passé à côté de la cible. Il suffirait alors de mettre n'importe quels mots les uns au bout des autres pour faire de l'absurde, et l'on voit que ce n'est pas ça. Comme en témoigne ce savoureux passage des Diablogues, avec François Morel et Jacques Gamblin.


Les Diablogues - Bande Annonce DVD Copat par CopatSopat

L'absurde, si on tient à garder ce mot pour qualifier le théâtre de Dubillard, ce n'est pas le n'importe quoi. C'est même tout sauf du n'importe quoi. Mais alors c'est quoi ? Bon, ben là ça se complique. Inutile de vous dire que je n'ai pas de théorie sur la question. Mais esquissons une piste : l'absurde n'est-il pas plutôt une sorte de logique délirante ? un vertige dans l'enchaînement des causes et des conséquences ? un raisonnement poussé dans ses ultimes retranchements ? une cogitation qui a complètement décollé de la réalité en partant pourtant de la simple observation de cette réalité ?
En fait, qu'est-ce que vient faire Roland Dubillard sur ce blog, qui ne se veut absolument pas notice nécrologique fut-ce des auteurs de théâtre ?  Eh bien, j'en parle parce que sur le blog de La main de singe, un article consacré au dramaturge renferme une vidéo de l'Ina le montrant dans Lecture pour tous, l'émission de Pierre Dumayet, datant du 28 novembre 1962.


1962, l'année qui nous occupe bien sûr, mais il y a surdétermination : le 28 novembre c'est mon jour anniversaire. Ce jour-là, j'avais deux ans.
Je me demande si à traquer ainsi les références fortuites à 1962 (pour bien spécifier que je ne prends que celles qui se présentent à l'occasion), je ne nage pas moi-même dans une certaine absurdité...
Envie de reprendre une belle formule (absurde ?) de Dubillard, citée par Gilles Heuré, « C’est inutile, mais ça vaut la peine ».




lundi 12 décembre 2011

Les Misérables, du roman à la réalité

Actualité de Hugo encore une fois. Aujourd'hui, on m'a signalé ceci :

LES MISERABLES DU ROMAN A LA REALITE - Mardi 13 Décembre - 21:00 h
Durée : 01:26
Documentaire de 90' réalisé par Didier Martiny et produit par Sunset Presse, avec la participation de France Télévisions, et de Planète. Production déléguée : Arnaud Hamelin. Narration : François Marthouret. Voix off : Bernard-Pierre Donnadieu. 2010.


  Le Resume


En 1862, Victor Hugo achevait l'écriture de son roman "Les Misérables". La misère alors stigmatisée par l'écrivain, est-elle perceptible, identifiable dans la France d'aujourd'hui ?

En suivant les principaux protagonistes du roman, le documentaire retrace l'itinéraire de plusieurs personnes vivant ou ayant vécu des situations parfois difficiles de misère, d'abandon, d'emprisonnement ou de maltraitance.

Actuellement, qui seraient Jean Valjean et Cosette ? Fantine mourrait-elle dans la misère ?

Marius se révolterait-il contre l'ordre établi ? Comment réagiraient Javert ou Monseigneur Myriel ? Où les Thénardier se terraient-ils ? Dans quelle rue de Paris Gavroche glanerait-il de l'argent ?...

Programme sous-titré par télétexte pour les sourds et les malentendants."

Vidéo intégrale disponible jusqu’au mardi 20 décembre 2011 à 21:08 

jeudi 1 décembre 2011

Le sens de la vie

J'adore ce nouveau morceau de mon ami Didou Renaud, compositeur de la bande musicale de Dracula : "Le sens de la vie", dont une première version fut jouée brut de décoffrage lors de la dernière session de tasonnerie,
Le sens de la vie by ppese
et dont voici une version dite "bricolée", plus apaisée et encore plus mélancolique.

Le sens de la vie

jeudi 24 novembre 2011

Hugo au nouveau TNP de Villeurbanne


Beaucoup aimé l'entretien que Christian Schiaretti a accordé à Télérama. Directeur du TNP de Villeurbanne, metteur en scène, il y retrace avec humour son itinéraire : (...) Peu à peu mieux informé, j'essaie d'entrer à l'école du Théâtre national de Strasbourg, que je rate, et je n'ai bien sûr plus l'âge de tenter le Conservatoire. Toujours démerdard, j'entreprends à la fac une maîtrise… sur le Conservatoire ! Et je suis accepté comme auditeur libre chez Antoine Vitez ! Là-bas, attention, je suis un illégitime, un déclassé, je ne suis pas habillé comme il faut, j'ai des socquettes bordeaux en acrylique immondes. Tous les élèves se foutent de ma gueule. Peu m'importe. Je ne touche plus terre. Je découvre avec Vitez un rapport poétique aux choses. Il partait du texte et menait à la joie, car avec lui on pouvait faire théâtre de tout et avec tout le monde(...). Et il affirme avec force ses convictions d'un théâtre fondé avant tout sur le texte, un théâtre qui fasse voir les mots, populaire en ce qu'il "signifie simplement transmission lumineuse et claire de notre meilleur répertoire, classique et moderne, de Molière à Vinaver".

Et que choisit-il pour ouvrir le nouveau TNP ? Rien moins que Hugo, avec Ruy Blas. Et quand on lui demande pourquoi Hugo, il répond : "Mais dans la préface de son drame Marion Delorme, en 1831, il est le premier dramaturge français à réunir ces trois termes : « théâtre », « national » et « populaire » ! J'aime son mauvais goût qui mène au sublime ; j'aime qu'il mêle avec naïveté comédie, tragédie, mélodrame et grotesque ; j'aime sa véritable jouissance du mot, et son omniprésente passion pour les femmes."

Une scène de Ruy Blas© Christian Ganet

Note en passant : C'est en relisant Ruy Blas que des petits malins ont pu écrire que Victor Hugo avait prédit l'affaire DSK. Voic en effet la tirade inaugurale :


« Ah ! C’est un coup de foudre ! ... — oui, mon règne est passé,
Gudiel ! — renvoyé, disgracié, chassé ! —
Ah ! Tout perdre en un jour ! — L’aventure est secrète
Encor, n’en parle pas. — Oui, pour une amourette,
— chose, à mon âge, sotte et folle, j’en conviens! —
Avec une suivante, une fille de rien !
Séduite, beau malheur ! parce que la donzelle
Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle,
Que cette créature a pleuré contre moi,
Et traîné son enfant dans les chambres du roi ;
Ordre de l’épouser. Je refuse. On m’exile !
On m’exile ! Et vingt ans d’un labeur difficile,
Vingt ans d’ambition, de travaux nuit et jour ;
Le président haï des alcades de cour,
Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ;
Le chef de la maison de Bazan, qui s’en vante ;
Mon crédit, mon pouvoir; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j’avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s’écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule ! »


lundi 21 novembre 2011

La cathédrale de Victor Hugo

Un article de Graham Robb, sur le site du mensuel Books, chronique le livre de l'historien d'art Michael Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame - Médiévalisme et monstres de la modernité, paru en octobre de cette année. J'y apprends que les fameuses sculptures n'ont rien de médiéval, que leurs consœurs originelles avaient depuis longtemps disparu : "Quand il entama ses travaux de restauration, en 1843, Eugène Viollet-le-Duc ne trouva qu’une poignée de moignons informes et de monstres délabrés, éparpillés dans le jardin derrière l’abside".

C'est en 1831 que Hugo avait fait paraître Notre-Dame de Paris (soit dit en passant, mis en scène également à Cluis, l'année suivante des Misérables, donc en 1963). A cette date, la cathédrale est dans un piteux état, Viollet-le-Duc la décrit comme « une ruine », "une cathédrale délabrée, à l’image des taudis environnants. Lorsque l’église devait accueillir une cérémonie nationale, on la bâchait et l’ornait de sculptures en carton-pâte dans le dernier style architectural en vogue. Il fallut attendre 1864, et le dévoilement de l’édifice restauré, pour que sa représentation hugolienne prenne corps. On aurait dit que Notre-Dame avait enfin retrouvé ce quelque chose « de fantastique, de surnaturel, d’horrible » que décrit le roman : « Des yeux et des bouches » s’ouvrant çà et là ; « les chiens, les guivres, les tarasques de pierre » veillant « jour et nuit, le cou tendu et la gueule ouverte, autour de la monstrueuse cathédrale ». N’étaient ses cornes et ses ailes repliées, l’une de ces chimères restaurées pourrait passer pour le portrait craché de « Quasimodo pensant ». Rien d’étonnant à cela, puisque Viollet-le-Duc s’est en partie inspiré du roman. Ceux qui, en plaisantant, parlaient de Notre-Dame comme de « la cathédrale de Victor Hugo » ne croyaient pas si bien dire. Les sculptures perchées sur les tours et les galeries, donnant au monument son aspect effrayant, n’étaient pas le fruit d’une simple restauration, mais le dernier avatar en date de la conception hugolienne du style gothique."

Puissance de l'imaginaire hugolien, qui parvient donc à imposer sa vision du médiéval. La lettre du livre devient la matière de l'édifice. A-t-on d'autres exemples d'un roman informant la réalité, recréant du passé à sa mesure, injectant dans le présent du mythe et du fantastique ?



Une de ces créatures du fantastique, la gargouille emblématique de Notre-Dame, sa pièce maîtresse selon Michael Camille, est celle que l'on nomme le Stryge (au-dessus, gravure de Charles Méryon, 1853): "Avec ses longs ongles de vampire femelle, sa tête offrant un condensé d’aberrations phrénologiques, et son nez crochu trahissant l’antisémitisme de son créateur, la Stryge et ses acolytes incarnent les terreurs bourgeoises : terreur de la maladie et de la prostitution ; terreur des « sauvages » de l’insurrection de juin 1848 ; terreur de voir resurgir chez l’homme les comportements du singe ; et terreur, enfin, des démons intangibles de la folie. La Notre-Dame de Viollet-le-Duc, cette cathédrale qui crie sa douleur en silence, est un monument des névroses du milieu du XIXe siècle."
Voir aussi la photo de Charles Nègre, conservée au musée d'Orsay.
Regardant samedi matin le troisième cours en ligne d'Antoine Compagnon sur 1966, Annus mirabilis, je retrouve le Stryge sur la couverture du roman de Huysmans, Là-bas, en Livre de poche (en illustration de son propos sur la place éminente acquise par le Livre de poche dans ces années 60). Il aurait pu choisir bien d'autres couvertures, mais non, ce fut celle-ci.


Je découvre enfin à l'instant que Le Stryge fait aussi la couverture de l'édition américaine du livre de Camille :








samedi 19 novembre 2011

Rentrez chez vous à Liverpool

Après la chanson française, place à la musique anglo-saxonne, jazz, rock and folk, qui prendra au fil de ces années 60 une place de plus en plus grande dans le coeur de la jeunesse française. Cette année-là, le 1er janvier, les Beatles auditionnent chez Decca, où ils enregistrent 15 titres en une heure. Ce qui n'empêche pas Dick Rowe, le directeur artistique, de les renvoyer sur les roses : « Rentrez chez vous à Liverpool, M. Epstein [Brian Epstein, le manager du groupe], les groupes à guitares vont bientôt disparaître. » Un visionnaire, ce Rowe (il sera d'ailleurs surnommé dans le milieu « the man who turned down the Beatles », l'homme qui rejeta les Beatles).
Ce n'est que partie remise : George Martin, à qui Epstein a fait écouter les bandes Decca, les auditionne chez Emi en juin 62, dans les fameux studios d'Abbey Road. Le premier single, Love me do, sort en octobre. La beatlemania va commencer.


 Le point de départ de cette chronique  a été cette page web découverte par sérendipité (autrement dit trouvée alors que je cherchais tout autre chose), extraite du blog QualityBootz.
Bonus track : les Beatles en 62, au Star Club de Hambourg, où ils se sont rodés à plusieurs reprises.



mardi 15 novembre 2011

Et j'entends siffler le train





C'est le premier titre de l'anthologie de la chanson française enregistrée, consacrée à l'année 1962, emprunté à la médiathèque Equinoxe. Richard Anthony, avec cette adaptation de 500 Miles de Hedy West, fait un carton. Il est possible qu'on en perçoive quelques échos dans le spectacle...





A l'autre bout de la liste, Georges Brassens, avec Les trompettes de la renommée, fait entendre une tout autre musique. C'est toute l'époque qui est comme résumée avec ces deux chansons. Mais je me trompe, au bout de la liste, il y a  cette chanson mal connue de la méconnue Hélène Martin, Le condamné à mort, sur un poème de Jean Genet.



Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes. 
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent 
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour. 

C'est très beau, et, disons-le, plus hugolien et valjeanesque que Richard Anthony (rappelons-nous aussi que Hugo a écrit Le Dernier Jour d 'un condamné.)
La chanson a été reprise (je le découvre, je n'en savais rien) par Etienne Daho, en 1998.

jeudi 10 novembre 2011

Les Misérables (1934), de Raymond Bernard

En 1934, Raymond Bernard réalise l'adaptation sans doute la plus longue (environ 4 h 30) du roman de Hugo , en trois films. Dans le rôle de Jean Valjean, l'immense Harry Baur, que j'avais déjà admiré dans son rôle de Volpone. L'intégrale est disponible sur YouTube. Voici la première partie : Une tempête sous un crâne.




Seconde partie : Les Thénardier.



Troisième partie : Liberté, liberté chérie.

samedi 5 novembre 2011

La physionomie des années

Et de trois. Après Robin et Dracula, voici le tour des Misérables 62. Besoin encore une fois d'un espace où transcrire les étapes de réalisation de ce projet théâtral mené avec le Manteau d'Arlequin de Cluis. Un blog où chroniquer, digresser, rêver, tenir la trace des efforts et des avancées, des difficultés et des succès. Cette nouvelle histoire n'a pas commencé hier, on s'en doute, mais j'attendais une sorte de déclic pour ouvrir ce chantier : il est venu sous la forme d'une conférence qui, au départ, n'avait rien à voir avec mon sujet. Un cours d'Antoine Compagnon, chargé de littérature moderne et contemporaine au Collège de France, le premier cours d'une série intitulée 1966, Annus mirabilis.
C'est le genre de choses que j'écoute en repassant.  Je dis bien "en repassant", car je repasse, voyez-vous, en général le samedi matin, et, contrairement à une certaine doxa féministe qui va répétant que l'homme est un animal monotâche, je parviens assez bien à manier le fer et entendre le verbe. Donc, j'étais à l'écoute de ce premier cours où A. Compagnon s'expliquait sur les raisons qui l'avaient poussé à consacrer tout un cycle de conférences à une année, et spécialement l'année 1966, lorsque je l'entendis évoquer Les Misérables, où Victor Hugo consacre tout un chapitre à l'année 1817 (on peut se reporter à la vidéo du lien au-dessus).
Il cite en particulier ce paragraphe terminal :
Voilà, pêle-mêle, ce qui surnage confusément de l’année 1817, oubliée aujourd’hui. L’histoire néglige presque toutes ces particularités, et ne peut faire autrement ; l’infini l’envahirait. Pourtant ces détails, qu’on appelle à tort petits, – il n’y a ni petits faits dans l’humanité, ni petites feuilles dans la végétation, – sont utiles. C’est de la physionomie des années que se compose la figure des siècles.
Les Misérables paraît en 1862, quarante-cinq ans plus tard. Sans doute fallait-il un temps de recul nécessaire pour bien juger de l'importance des faits qui se déroulèrent à l'époque. Appliquant le même calcul, A. Compagnon, partant de 2011, aboutit logiquement à 1966. Or, il se trouve que ce n'est là qu'un hasard, car il avait choisi cette année bien avant d'être alerté par une connaissance sur ce passage de Hugo. D'autres raisons présidaient à son choix, que je vous laisse découvrir, pour ceux que ça intéresse, dans la vidéo du cours.

Il reste que cette double attention à Hugo et à une année bien particulière épouse le mouvement même du projet qui nous occupe, car il s'agit bien, pareillement, de pénétrer l’œuvre afin d'en faire surgir les aspects essentiels, tout en l'inscrivant dans cette année 1962, où la volonté d'un homme, emblématique d'un projet humaniste visant à porter la culture dans le peuple, rencontre l'enthousiasme de tout un village, au sortir des années de guerre qui se sont prolongées avec la toute récente guerre d'Algérie, fort de toute une jeunesse prête à s'investir sans compter son temps et sa fatigue.

C'est - reprenons les termes de Hugo - la physionomie de cette année 1962 que je veux essayer d'appréhender dans les mois qui viennent, afin d'en donner au public, à travers quelques détails significatifs, une version qui ne la trahirait pas. Je m'en tiendrai à ce modeste objectif.

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