mercredi 11 janvier 2012

Sibérie et rue Plumet

Lu Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson (Gallimard, 2011). Récit autobiographique de son séjour de six mois en cabane, pas le Goulag non, mais une vraie isba de bois sur les rivages du lac Baïkal, à cinq jours de marche du premier village. Auparavant voyageur frénétique, Tesson cherche là à apprivoiser le temps dans l'immobilité d'un ermitage par moins trente degrés, entre taïga et banquise. Il lit énormément, des livres le plus possible sans rapport avec son domaine (Casanova par exemple), pêche l'omble, coupe du bois, se saoule régulièrement à la vodka (surtout quand il a la visite des rudes habitants du lac), écrit, arpente les sommets, nourrit les mésanges. Bref, un bon livre, bien écrit, bien intéressant.
Une seule réticence : je ne discute pas la sincérité de l'expérience, mais je m'interroge tout de même sur sa nature. Cet ermitage, d'emblée Tesson l'avait prévu de six mois, limité dans le temps, et il est clair que le projet d'en faire un livre était présent dès le départ. Et un film aussi, car il en a tiré aussi un film. Or, ce qui est surprenant c'est qu'il ne mentionne pas du tout cet aspect dans le livre. Le film n'a pas d'existence dans le journal tenu au quotidien. Comme s'il avait senti que cela aurait retiré de l'authenticité à son récit. On peut écrire pour soi, c'est concevable, mais il est improbable que l'on se filme seulement pour soi. Sylvain Tesson ne vit pas la pure expérience de l'ermitage, il la vit dans la visée de son exploitation ultérieure. Encore une fois je ne dis pas qu'il a fait tout cela pour sa publicité, s'enrichir, non, mais je trouve ça symptomatique de notre époque : même celui qui va se retirer sous les plus froides latitudes du globe, ressent le besoin quelques mois plus tard, voire dès le principe du projet, d'en référer au reste du monde, médiatisant sans délai son vivre de solitude.



Bon, revenons à nos moutons hugoliens. Car si je parle ici de tout cela, c'est aussi qu'il y a un rapport avec le grand Victor. Il se trouve donc que notre anachorète le cite à la date du 16 juillet, à la fin de son séjour, quand l'été a enfin pris ses quartiers sur le lac, avec ses ours et ses bataillons de moustiques :

Des fleurs d'églantier bordent le pied des arbres de la lisière du bois. Elles tournent leur corolle vers leur dieu le Soleil. Je pense à la description du jardin de la rue Plumet dans Les Misérables. Jean Valjean a laissé la friche pousser et Hugo file une profession de foi panthéiste : "Tout travaille à tout... Il y a entre les êtres et les choses des relations de prodige... Aucun penseur n'oserait dire que le parfum des aubépines est inutile aux constellations..."
  Prolonger la question hugolienne : qui prétendrait que le ressac n'est pour rien dans les rêves du faon, que le vent n'éprouve rien à se heurter au mur, que l'aube est insensible aux trilles des mésanges ?" (page 256)


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