vendredi 2 novembre 2012

Sur la piste du 62, rue de Picpus

"Quelques divagations illustrées de documents pour une autre contribution à nos chères études Bernardiennes." C'est ainsi que notre Javert, alias Francis Dusserre, me présente le fruit de son dernier passage parisien. Suivons-le une nouvelle fois, sur la trace de ses souvenirs personnels, dans les rues hantées par les présences fictives ou réelles - la distinction est parfois bien difficile à établir - des grandes et petites histoires de la capitale.


Puisque nous voici relancés sur les pistes bernardiennes, partons pour le 62 rue de Picpus comme nous y invitent Hugo, Modiano et Moreau rien que du beau….monde.

Un souvenir, pas trop lointain : je me souviens d’une plaque commémorative comme il en existe un peu partout dans les villes ayant un minimum d’histoire. Cette plaque, placée quelque part sur le versant sud de la montagne Ste Geneviève, indiquait l’emplacement du couvent où se cachèrent Jean Valjean et Cosette dans Les Misères  avant qu’Hugo ne les envoie se réfugier à Picpus dans Les Misérables . Je voulais donc retrouver cette plaque. A l’occasion d’un reportage sur la cuisine chinoise du XIIIème  et équipé d’une paire d’yeux tout neufs, je me rendis dans le Vème. Je voyais à peu près le parcours à faire autour de l’Institut Curie pour retrouver la fameuse plaque. Rue St Jacques… rue Gay Lussac…rue d’Ulm…rue du Pot de Fer…rue Lhomond…. ??? Rien ! Pas de plaque ? Rues Tournefort, de l’Arbalète, Amyot, de l’Estrapade ! Toujours rien. Place du Panthéon ? Rien !

Angle Rue du Pot de Fer et rue Lhomond

J’aurais pu entrer dans ce bâtiment glacial pour poser la question à Hugo lui-même, mais n’ayant pas comme lui la faculté d’entendre parler les morts, je me dirigeai vers les vivants.
Rue Mouffetard, la librairie : « L’Arbre du Voyageur ». En vitrine, une présentation de toute une série de bouquins de Modiano et sa photo au milieu me prouvent que je suis sur la bonne piste. J’entre, un jeune homme à qui j’expose ma recherche me dit que cela lui évoque effectivement quelque chose mais que pour lui le couvent en question est celui des Bernardins (récemment restauré) mais qui se trouve de l’autre côté de la montagne sainte Geneviève près de la (bien connue) rue de Bièvre. Voyant sans doute que poliment je ne suis pas d’accord avec lui et que le but de ma recherche est bien de ce côté méridional de la montagne, il appelle son père, un monsieur tout aussi sympathique et serviable qui part en recherche dans son arrière boutique. Je n’ose imaginer ce qu’il va chercher là dedans, tant la boutique est elle-même remplie de livres et de publications… va-t-il ressortir avec un texte datant de la fin du XIXème ? Nous sommes en 2012 et il revient avec cet extrait du Web :

29 – 33 rue Lhomond : maison de la communauté Ste Aure dont Hugo fait le refuge de Jean Valjean et de Cosette , en en faisant le couvent des Bernardines et le transposant à une adresse imaginaire 62 rue de Picpus afin de contourner la censure.

C’est le texte qui figurait sur la plaque de mon souvenir. La rue Lhomond est  à 150 m, j’y vais. Le libraire me demande, si j’y rencontre Jean Valjean, de le saluer de sa part « c’est un ami » précise-t-il. Jean Valjean est l’ami de tout le monde, il est si bon. Je dois alors lui avouer qu’il y a peu, moi, j’étais Javert. Nous nous quittons quand même en sympathie, du moins je l’espère, car de mon côté j’en éprouve beaucoup pour ces libraires qui maintiennent un amour des livres dans un quartier devenu bien artificiel.

Heurtoir du séminaire du Sacré-Coeur en face du 29 rue Lhomond.

29 – 33 rue Lhomond, je viens d’y passer il y a 20 minutes, il n’y avait pas de plaque, il n’y en a toujours pas… sur le mur, des traces de plâtre encore frais…la plaque a été enlevée ; qui a voulu me perdre ? Allons ne soyons pas paranoïaque et savourons la redécouverte.
1847 :  Les Misères. Jean Valjean habite Bd de l’Hôpital à une adresse imaginaire. Son addiction, c’est la charité, comme pour certains c’est l’alcool ou pour d’autres, moins nombreux, le travail. Il se fait donc rapidement remarquer comme charitable dans tout le quartier St Médard que de son domicile il rejoint en passant peut- être par la rue Poliveau…( Jambier !!!!!)
C’est déguisé en mendiant au porche de l’église St Médard que Javert le reconnaît et se lance à sa poursuite. St Médard, rue Lhomond, il n’y a que quelques pas à faire dans la rue Mouffetard. A l’angle des rues Lhomond et du Pot de Fer et il ne reste plus qu’à franchir le mur du couvent des bénédictines du St Sacrement qui ont remplacé en ce lieu la communauté de Ste Aure en 1814.

29 - 33 rue Lhomond

1862 : Victor Hugo envoie ses héros se cacher à l’autre bout de Paris au bout du quartier St Antoine (dont nous avons déjà parlé) et ceci en leur faisant courir le risque de se faire prendre au passage du pont d’Austerlitz, de se perdre comme lui se perd un peu puisqu’ alors en exil il ne peut faire le chemin que sur plan. Pourquoi ?
Le couvent de Picpus nous vaut quelques belles pages sur la rudesse voir l’inhumanité de la vie monastique féminine avec ce petit quelque chose d’érotisme sado-masochiste tant apprécié des amateurs de récits de vie de couvent et autres prisons de femmes. Diderot n’est pas loin même si la position d’Hugo semble sensiblement différente.

Picpus, ce quartier faisant  partie antérieurement de la commune de St Mandé fut annexé à Paris en 1860, c’était un endroit plus champêtre qu’urbain avec pour seul monument notable la place du Trône et le couvent de Picpus et surtout son cimetière qui accueillit, si l’on peut dire, les plus de 1300 guillotinés de la place du « Trône renversé » dont les religieuses de Compiègne (qui dialoguèrent à Cluis), André Chénier sans compter la Fayette qui garda sa tête et n’y fut inhumé qu’en 1834 (faute d’être mort plus tôt) et en ajoutant pour finir 80 religieuses et  4 religieux tués par les communards. (bien qu’ il y eut plus de femmes que d’hommes mais avec la grammaire, le masculin  l’emporte ) 

Jardin du 29 - 33 rue Lhomond restauré en 1974. (mais qui doit encore garder les traces de Fauchelevent)

Revenons à la raison d’Hugo d’envoyer Cosette et son protecteur loin de l’endroit où raisonnablement leur histoire devait avoir lieu. Hugo invoque le risque de la censure ?
En 1862 les lois de proscription étaient abolies et Victor aurait pu rentrer en France. Mais « s’il n’en reste qu’un je serai celui là ». Hugo avait-il besoin d’être encore plus victime qu’il ne l’était vraiment ? Pourquoi la censure serait-elle plus virulente à St Médard qu’à Picpus ?
Le Grand Homme, moins poursuivi par la censure et Napoléon III, aurait-il été moins Grand et la troisième République lui aurait-elle ouvert moins grandes les portes du Panthéon (redevenu à l’occasion de ses funérailles mausolée national en 1885) ?

Paris en 1821

Pour finir avec les cimetières en ce jour de Toussaint veille de la fête des morts, rappelons que c’est à peu de distance de Picpus, au cimetière de St Mandé, que Juliette Drouet n’est plus « qu’une cendre glacée ».

Sortie de la messe à St Médard.

Francis Dusserre









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire