mercredi 6 mars 2013

Javert à la Bastoche

On n'arrête pas Javert, alias Francis Dusserre. Dans sa quête parisienne, sur les traces du grand Victor, le fin limier nous invite une nouvelle fois à une belle balade historique et culturelle. Ici, il rebondit sur une question posée par notre autre enquêteur bernardologue, et nous emmène ensuite du côté du canal Saint-Martin et du quartier Saint-Paul, avant de conclure en beauté Place des Vosges.
Encore quelques pages comme ça, et on va pouvoir éditer le guide Javert de la capitale.


JC Moreau me pose une question :  Le couvent des Clarisses de la rue Lourcine aurait-il un rapport avec celui des Bernardines où Jean Valjean poursuivi par Javert se cache ?
Et bien peut-être : Le finaud JCM dans sa traque sur les pas de l’ours n’est pas tombé loin.
Cette rue Lourcine, aujourd’hui en partie rue Broca, commence à quelques pas du parvis de l’église saint Médard d’où Javert se lance à la poursuite de Jean Valjean, mais cette voie file vers le sud alors que le héros hugolien se dirige par la rue Mouffetard vers le nord et, c’est prémonitoire, vers le Panthéon. Sortant de saint Médard, Valjean tourne à droite ; il tournait à gauche et il était dans la rue Lourcine avec au bout le couvent des sœurs Cordelières dont l’ordre, connu aussi sous le nom d’ordre des Pauvres Dames, a été fondé par sainte Claire d’Assise disciple de Francesco (en anglais : Francis) du même lieu. 

Ceci dit, le couvent de la rue Lhomond  occupé lui par des sœurs Bénédictines du saint Sacrement (et avant elles par celles de Sainte Aure) ne fut que le temps d’une première rédaction de l’œuvre d’Hugo le refuge de ses héros car, nous l’avons déjà dit, le bon Victor les envoie par la suite se cacher rue de Picpus, à l’autre bout de Paris dans un couvent dont il invente le nom et la règle, les vraies occupantes du couvent de Picpus étant des Chanoinesses de saint Augustin dites aussi de Notre Dame de Lépante. 

Encore une fois le seul couvent se rattachant au nom de saint Bernard est celui des Bernardins (pas « dines ») situé sur le flanc nord de la Montagne sainte Geneviève. Magnifique lieu que ce couvent et collège qui figure parmi les derniers témoins monumentaux de l’Université de Paris au Moyen Age. 

Une parenthèse : le 12 septembre 2008, Benoît XVI inaugura (presque) le collège enfin rénové après avoir été débarrassé de la caserne de pompiers qui l’avait occupé de nombreuses années...
Petit détail mais bien dans l’actualité: Benoît XVI a sur le blason qu’il a choisi à son avènement, l’Ours de saint Corbinien évangélisateur de la Bavière. « L’ours n’est-il pas l’image de ce que je dois être et de ce que je suis ? Je suis devenu ton mulet et c’est ainsi que je suis tout près de toi pour toujours » (Cardinal J.Ratzinger)  

Décidément j’aime bien ce Benoît, et pas seulement parce qu’il a béni à Rome mon 60ème anniversaire (sans qu’il le sache bien sûr…)
Quelle leçon pour ceux qui s’accrochent à la dépouille de leur charge, beaucoup d’humanité et d’humilité, contrairement à son médiatique prédécesseur, chez ce grand intellectuel qui aime les chats et dont le compagnon félin l’accompagnera certainement  dans sa retraite.
Le chat et l’ours : deux animaux qui auraient pu avoir un destin commun si ce n’était leur taille.

Le chat n’a en fait jamais été réellement domestiqué, c’est un animal familier et non domestiqué qui s’est rapproché de l’homme car il savait qu’un jour celui-ci  finirait bien par inventer les radiateurs ( je ne sais plus à qui j’emprunte cette formule mais je la trouve juste et belle donc je l’adopte). Je parle de l’homme des villes qui a su s’en faire un allié dans sa guerre aux rats, pas de celui de la campagne qui n’aime que son chien et qui n’a qu’une idée c’est de tuer son concurrent à la chasse ou de piéger celui qui ose gratter la terre là où lui plante ses ignobles poireaux.
Eh bien l’ours aurait pu avoir le même destin s’il avait été un peu moins encombrant et si ses coups de pattes n’étaient pas si lourds. Lui qui a partagé les cavernes des premiers hommes aurait pu continuer la cohabitation avec les suivants. Il n’en fut rien, d’où le substitut de l’ours en peluche chez les enfants et peut-être du chat chez l’adulte.          
Après ce détour de l’ours au chat, cessons de dériver et revenons à nos couvents pour constater qu’il n’y a  point en fait de bernardines dans tout ça. 

Il y a eu et il y a encore pourtant tant de congrégations à Paris. Il y a même un secteur du VIème arrondissement que les vieux chauffeurs de taxi appelaient « le Vatican », tant il y avait de couvents et de maisons religieuses.

Victor Hugo habita un temps – celui de Cromwell et d’Hernani  - dans ce secteur, rue Notre Dame des Champs et eut pour voisin au grand bonheur d’Adèle : Sainte-Beuve.
La femme, le mari et l’amant une forme de théâtre qui allait avoir de l’avenir, peut-être même plus que les grandes tragédies hugoliennes.

Faisons maintenant un tour des rues de Paris : rue des…Ursulines, Chanoinesses, Blancs-Manteaux, Carmes, Bernardins, Grands-Augustins, Petits-Pères, Feuillantines (où habita Hugo enfant), Capucines,, Minimes ou encore de Cîteaux … tout un parcours religieux pour arriver au quai des Célestins et près de là à la caserne homonyme.

- « Il paraît qu’il y a plein de canons aux Célestins » vociféraient les commères des Misérables 62 et c’était bien normal car ces « Célestins » étaient et sont toujours dans le quartier de l’Arsenal entre la Bastille et la Seine. Surtout c’est de  cette caserne des Célestins que sortirent un juin 1832 les dragons qui déclenchèrent ou sur qui se déclencha l’émeute des  Misérables.
Aujourd’hui grâce à Hollywood, les Misérables s’affichent devant la caserne occupée de nos jours par la Garde Républicaine.  

Quartier de l’Arsenal ; on y voit peu de touristes, il a pourtant son histoire, et quelques éléments témoins de celle-ci.
Quelques pierres de la Bastille amenées d’un bout à l’autre  du Boulevard Henri IV jusqu’au square Henri Galli. 
La bibliothèque de l’Arsenal dont le bibliothécaire fut un temps Charles Nodier, administrateur totalement incompétent mais animateur de salon littéraire hors pair.
C’est dans son appartement de fonction que Dumas, Lamartine, Vigny, Gautier… et Hugo inventèrent le romantisme français.

L’Arsenal c’est aussi le canal jusqu’à la Bastoche.




Il était né près du canal
Par là…dans l’quartier d’l’Arsenal
Sa maman qu’avait pas d’mari
L’appelait son petit Henri
Mais on l’appelait la Filoche
A la Bastoche…
Et sur la bascule à Charlot,
Il a payé sans dire un mot
A la Roquette un beau matin
Il a fait voir à ceux d’Pantin
Comment savait mourir un broche*
De la Bastoche.

  • Broche : brochet, barbeau, hareng, maquereau : Souteneur quoi !
La Chanson est bien sûr de Bruant et date de 1915 ( été 1915 ?).
Port de l'Arsenal sur le Canal Saint-Martin

Canal Saint Martin sous la colonne de juillet.
La bascule à Charlot, la Veuve, les bois de justice… c’est justement à propos du sujet que Nodier et Hugo se brouillèrent à la suite d’un article du premier contre le célébrissime texte du second, Le dernier jour d’un condamné *. Nodier restait royaliste légitimiste quand Hugo engageait sa marche vers la gloire républicaine et la Troisième République.

*Si vous passez par Paris en ce moment ( ou si le spectacle passe un jour vers vous) ne manquez pas – sur le même sujet – (au théâtre du Lucernaire pour Paris)
La ballade de la geôle de Reading,  poème d’Oscar Wilde dit par Jean-Paul Audrain accompagné par Monica  Molinaro au piano.   
 
Puisque nous en  sommes à deux pas, je vous propose un petit tour, toujours hugolien dans le quartier saint Paul.
Ne nous attardons pas dans le « Village saint Paul » tentative moins qu’à moitié réussie de faire de ce qui était un îlot insalubre, refuge des clochards et de la vermine, un « Village Suisse »* de la rive droite, prenons juste le temps de penser que c’est quelque part par là que mourut Rabelais.
*Ensemble de boutiques d’antiquaires ayant pris la place du Village suisse d’une exposition universelle dont j’ai oublié la date mais qui s’est tenu au Champ de Mars.

Rue des jardins saint Paul
Passons rue des jardins saint Paul.
Nous sommes hors la ville de Philippe Auguste dont la muraille borde le terrain de sport du lycée Charlemagne.

Au bout de ce terrain une fontaine dont le chérubin fait étrangement penser à Victor Hugo avec ce front immense si souvent représenté par les caricaturistes des années 1830-40. 

Juste un peu en arrière de la fontaine, l’église saint Paul-saint Louis veille sur le déjà cité lycée Charlemagne, ex-maison professe des Jésuites qui n’ont, il faut le noter, pas de rue à leur nom dans Paris. Aurait-elle été droite ou tortueuse cette rue ?

Dans l’église, on trouve toujours les deux bénitiers offerts par Hugo à la paroisse où se maria sa fille bien aimée Léopoldine. Justement ces bénitiers -  en fait les deux valves d’un bivalve des caraïbes – ressemblent bougrement au coquillage que l’enfant au visage d’Hugo  porte au dessus de la tête comme pour l’offrir : à qui ? Le mysticisme et le sentiment religieux chez Victor Hugo est un sujet qui me dépasse, je me garderai bien d’essayer de l’analyser, un peu d’ailleurs comme pour l’autre géant ayant fréquenté le quartier : Rabelais. L’un et l’autre sont inclassables et Rabelais peut-être encore plus qu’Hugo, ce qui permet à toutes sortes de gens, penseurs en mal d’appui, de se les approprier. Je dérive, je dérive…
Fontaine rue Charlemagne.

Bénitier offert par Hugo.
Continuons la promenade. Tout le quartier saint Paul est construit sur l’emplacement de l’Hôtel Saint-Pol. Cet ensemble d’Hôtels et Palais n’ayant connu que des événements tragiques : le Bal des ardents, la résidence de l’ignoble Isabeau de Bavière et l’occupation anglaise, tous les souverains qui vinrent ensuite semblent avoir voulu en effacer les traces.
Il n’en reste que le souvenir dans le nom des rues : rue des jardins saint Paul, rue de la Cerisaie –souvenir du verger royal aux 1000 cerisiers, rue Charles V, rue des Lions -  souvenir de la ménagerie royale où il devait bien y avoir aussi des ours…

Le même sort s’acharna sur l’Hôtel des Tournelles où eut lieu le tournoi où Henri II fut mortellement blessé. Les Tournelles furent abandonnées, bientôt détruites et Henri IV fit réaliser sur le terrain la Place Royale, aujourd’hui des Vosges.
Hôtel saint Pol et des Tournelles, l’ensemble aurait pu faire pendant à l’est de Paris à ce que devint au fil du temps le Louvre à l’ouest. Voilà peut-être pourquoi Paris se développa plus majestueusement vers l’ouest laissant l’est aux faubourgs populaires ? Je dérive, je dérive, je… Mais quand même le fait que le Paris populaire, hier émeutier, aujourd’hui tout au plus manifestant, se trouve à l’est, est une réalité que n’explique pas seulement le sens des vents dominants comme le voudraient certains, et le vent de l’histoire …

Terminons quand même notre promenade.
 
Place des Vosges !  Nous revoici avec Hugo dans sa maison au numéro 6.
 
J’ai trois amis très chers

On m’a dit qu’Honoré me ressemblait un peu
En un  mot que j’avais la gueule balzacienne.
J’ai bien souvent rêvé que j’étais son neveu,
Et la chère Eugénie ma cousine germaine.

Ce que j’aurais aimé, c’est aller chez Victor
Place des Vosges, au coin, je connais bien l’adresse,
Lui dire : « Il fait soleil, viens faire un tour dehors
Jean Valjean peut attendre, après tout rien ne presse ! »
Nous aurions tous les deux arpenté pas à pas
Le Boulevard Beaumarchais en songeant qu’Alexandre
Préparait pour ce soir un superbe repas
Et que ces choses-là sont toujours bonnes à prendre.
Quand parmi les vivants je n’aurai plus personne,
Il me reste Honoré, Alexandre et Victor

Bernard Dimey, J’ai trois amis.


Voilà je pense avoir répondu à la question de JC Moreau, pardon si j’ai souvent dérivé mais je pense être remonté à la source, c’est-à-dire arrivé chez Hugo, et si j’ai été un peu long et bavard, c’est dans ma nature.
Autoportrait de Javert chez Hugo.

Vue de la place des Vosges de chez Hugo.
 
Je viens juste de repenser  que j’avais promis à Patrick quelque chose sur les cloches de Notre Dame de Paris. Ce sera pour une autre fois, si le bon maître le permet.    
       

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